EUROPEAN FAMILY THERAPY ASSOCIATION
CONNECTING FAMILY THERAPISTS AND TRAINERS
Pourquoi la Thérapie Familiale ?
Argumentaire : Thérapies de famille et de couple / Thérapies systémiques
Recherche et rédaction : Michelle Bischoff et Séverine Bessero
Coordination : Benoît Reverdin, Nicola Gervasoni et Philip Nielsen
Expertise et supervision scientifique : Prof. Nicolas Favez (Université de Genève)
Groupe de travail : Benoit Reverdin, Philip Nielsen, Nicola Gervasoni, Michelle Bischoff et Séverine Bessero (AGTF) ; Nicolas Favez (Université de Genève) ; Raymond Traube (SISTEMICA); Daniel Krähenbühl (SGS); Heidi Oetiker (VEF); Valérie Le Goff et Robert Neuburger (ASTHEFIS).
Cet argumentaire est le fruit d’une collaboration entre les associations nationales et cantonales de thérapie familiale et systémique et de conseil conjugal (SISTEMICA, ASTHEFIS, SGS, STIRPS, VEF)
- ASTHEFIS : Association Suisse de Thérapies de Familles et Interventions Systémiques
- SGS : Schweizerische Gesellschaft fur systemische Therapie und Beratung Therapie und Beratung
- SISTEMICA : Fédération suisse des associations de thérapies familiales
- VEF : Verband für systemische Paar – und Familientherapie-/beratung STIRPS : Società Ticinese di Ricerca e Psicoterapia Sistemica
- AGTF : Association Genevoise des Thérapies Familiales
Avant-propos
Les approches thérapeutiques de la famille et du couple connaissent un regain d’intérêt significatif en Suisse et ailleurs en Europe. Cet élan se produit à un moment crucial dans l’histoire des psychothérapies : d’une part l’on assiste à une accumulation des connaissances sur leur efficacité grâce au corpus croissant de recherches scientifiques en milieu clinique ; d’autre part, un débat est en cours dans divers pays – dont la Suisse – sur les critères de remboursement des psychothérapies par les assurances maladies. Ce débat va avoir un impact décisif sur la configuration du paysage psychothérapeutique de demain.
Le présent argumentaire – fruit d’une collaboration entre les associations nationales de thérapie familiale/de couple et de systémique – a comme finalité de faire le point sur la question complexe de l’efficacité de ces thérapies, en se basant sur la littérature scientifique. Il a été rédigé selon les principes suivants :
- les références sélectionnées sont issues de recherches répondant aux standards scientifiques les plus rigoureux, tels que définis dans le domaine des traitements validés empiriquement (empirically-validated treatments) (Nathan & Gorman, 2007),
- le champ d’application présenté est celui des troubles psychiques reconnus par la LaMal (loi fédérale sur l’assurance-maladie). De ce fait, certaines recherches attestant de l’efficacité des psychothérapies familiales et de couple dans des domaines non reconnus par la LaMal n’ont pas été mentionnées,
- la présentation des recherches d’efficacité est scindée en deux parties principales : l’une consacrée aux démarches volontaires de la part du patient, l’autre aux démarches non volontaires. En effet, il a paru particulièrement pertinent de souligner l’efficacité des thérapies de famille dans des domaines où le patient refuse le traitement ou n’en est pas demandeur et qui représentent des problèmes ayant un impact social considérable. Une troisième partie présente les données relatives à la rentabilité économique de ces thérapies,
- enfin, l’argumentaire n’a pas fonction de répertoire des différentes pratiques, mais se centre sur les facteurs communs aux diverses approches familiales.
Introduction
Les approches thérapeutiques de la famille et du couple : de quoi s’agit-il ?
Dans le présent document nous adoptons les définitions suivantes pour rendre compte des approches thérapeutiques de la famille et du couple :
« Toute forme de psychothérapie ou d’intervention ponctuelle ou répétée réunissant au moins deux personnes faisant partie du contexte de vie ou de survie d’une ou de plusieurs personnes en souffrance, c’est-à-dire partageant une destinée commune » (Collectif INSERM, 2004).
« La thérapie familiale s’intéresse aux problèmes et souffrances que présentent la personne à l’intérieur du contexte relationnel constitué d’autres personnes d’importance significative et de son réseau social » (NFTO ; National Family Therapy Organisations, 2009)
Nous retiendrons dans le cadre de cette définition les psychothérapies de famille et de couple, ainsi que d’autres interventions familiales incluant la psychoéducation et les groupes multifamiliaux. La psycho-éducation propose aux familles les attitudes adaptatives à mettre en place face aux perturbations liées à la maladie d’un membre de la famille. Les groupes multifamiliaux réunissent, dans un but thérapeutique, plusieurs familles présentant souvent un problème commun. De manière générale, l’échange d’informations, l’entraide, les moyens de faire face aux problèmes rencontrés et le développement de la solidarité interfamiliale y sont encouragés.
Les premières thérapies familiales ont vu le jour à la fin des années 30 aux Etats-Unis. A cette époque, les psychothérapies étaient essentiellement effectuées en consultations individuelles. C’est à partir d’un double constat clinique que les thérapies familiales se sont développées : d’une part, les praticiens avaient remarqué l’aggravation de l’état de patients hospitalisés suite à une visite de leur famille ; d’autre part, l’inclusion de la famille dans le traitement résultait au contraire en une amélioration symptomatique. Depuis ce moment, la thérapie familiale n’a pas cessé d’être en constante évolution, donnant naissance à diverses écoles. C’est au cours des années 70, qu’elle s’est développée en Europe.
On retrouve la thérapie de famille dans plusieurs domaines d’intervention, tant sur le plan médical, que psychologique ou social. Elle est enseignée et pratiquée dans la majeure partie des institutions psychiatriques en Suisse.
Les principes fondamentaux de la thérapie de famille
Les écoles de thérapie familiale s’appuient sur des apports théoriques divers, mais elles partagent les postulats suivants :
- les comportements et les vécus problématiques des individus sont liés aux interactions, aux liens familiaux et au contexte dans lequel ils se développent,
- un changement apporté aux relations interpersonnelles provoque un changement chez le patient, ou renforce le changement qui est en train de se produire,
- le travail thérapeutique se focalise sur les interactions familiales dans l’ici et le maintenant,
- les ressources et l’autonomie des patients et de leur famille sont utilisées comme leviers thérapeutiques.
Les thérapies de famille peuvent être exercées selon plusieurs modèles psychothérapeutiques (systémique, cognitivo-comportemental et psychodynamique). Toutefois, la majeure partie d’entre elles s’inspire du modèle systémique. Dans la suite de ce texte, nous utiliserons communément les acronymes TF/TS (thérapie de famille/thérapie systémique) pour évoquer les psychothérapies de famille et de couple.
À quelles situations s’applique la TF/TS ?
A l’origine, la TF/TS est apparue comme mode de réponse thérapeutique à des problématiques psychiatriques graves telles que les schizophrénies. Elle s’est progressivement développée pour faire face à une large gamme de troubles, incluant les troubles psychotiques au sens large, les troubles psychosomatiques, les troubles du comportement alimentaire, les addictions, les démences, la maltraitance envers les enfants, la violence conjugale et familiale. Il s’agit de manière générale de prises en charge relativement brèves : entre 6 et 20 séances.
Bilan des recherches
Types de recherche en psychothérapie
A ce jour, les données d’efficacité concernant la psychothérapie viennent principalement de deux types d’études reconnues pour leur validité scientifique : les études dites d’efficacité (efficacy studies)1 et les études dites d’efficience (effectiveness studies)2. Nous avons retenu pour le présent document ces deux types d’études, ainsi que les études de rendement (coût-efficacité)3. Par mesure de simplification, nous utiliserons communément le terme d’efficacité pour rendre compte des résultats tant des études d’efficacité que des études d’efficience.
- 1. Les études d’efficacité sont réalisées dans des conditions contrôlées, se caractérisant par la constitution d’un groupe de patients souffrant de mêmes troubles, soumis à un processus thérapeutique standardisé et manualisé, qui est comparé à un groupe contrôle sans traitement ou bénéficiant d’un traitement alternatif.
- 2. Les études d’efficience s’intéressent aux effets d’une intervention psychothérapeutique telle qu’elle est dispensée dans la pratique clinique courante.
- 3. Les études d’ « efficacité-coût » comparent les coûts d’une intervention ou d’un programme auquel est attribuée une valeur monétaire avec les effets de l’intervention ou du programme en question exprimés par d’autres mesures.
Efficacité de la TF/TS
L’efficacité de la TF/TS est aujourd’hui bien établie en général et pour de nombreux problèmes cliniques spécifiques.
La TF/TS est efficace soit comme traitement unique, soit conjuguée à une autre forme de traitement, tel qu’un traitement pharmacologique, un traitement individuel, social ou éducatif. Les résultats des recherches les plus récentes que nous présentons ci-après ont été récapitulés et résumés dans plusieurs ouvrages et articles scientifiques de haut niveau que le lecteur trouvera mentionnés en bibliographie ; une de ces références est en langue française (Elkaïm, 2007), une en langue allemande (von Sydow, Beher, Metzlaff & Schweizer, 2007), l’ensemble des autres en langue anglaise uniquement (Carr, 2009a, 2009b ; Fonagy, Target, Cottrell, Phillips & Kurtz, 2002 ; Roth & Fonagy, 2005 ; Nathan & Gorman, 2007 ; Sexton, Alexander & Mease, 2004 ; Shadish & Baldwin, 2003 ; Stratton, 2005).
Efficacité de la TF/TS pour des problématiques dans lesquelles les patients ne sont généralement pas les demandeurs directs de soins
La TF/TS s’avère souvent plus efficace que les thérapies individuelles pour des problèmes graves dans lesquels les patients sont peu ou pas demandeurs de soins tels que les comportements antisociaux, les abus de substances, les troubles alimentaires ou encore les troubles psychotiques. Ces situations sont caractérisées par une difficulté à engager le patient dans les soins et à l’y maintenir. Les refus ou ruptures de soins ont de lourdes conséquences pour l’entourage et génèrent un coût social élevé, notamment en termes d’hospitalisations. L’implication de la famille/partenaire dans le processus de soins pour ce type de troubles s’avère très efficace.
Récapitulatif des principaux résultats de recherche chez les patients généralement non demandeurs de soins
- Les troubles du comportement/ problèmes de délinquance juvénile. La TF/TS permet une amélioration significative des troubles des conduites chez les enfants et les adolescents, et ceci de façon plus marquée que lors d’un traitement individuel.
- Le déficit d’attention et hyperactivité (ADHD) chez l’enfant. La TF/TS permet une amélioration significative des troubles d’attention et d’hyper activité chez l’enfant. Lorsqu’elle est combinée à un traitement pharmacologique, la TF/TS est considérée comme le traitement de choix.
- Les conduites toxicomaniaques et les problèmes liés à l’alcool. La TF/TS permet une plus forte diminution de la consommation de substance et une meilleure adhésion aux programmes thérapeutiques que les traitements individuels.
- Les troubles des conduites alimentaires. La TF/TS permet une amélioration significative dans les cas d’anorexie mentale et une diminution plus importante des rechutes que dans les situations de thérapies individuelles. De même, la TF/TS s’avère aussi efficace, voire plus efficace qu’une psychothérapie individuelle dans les cas de boulimie à l’adolescence.
- Les schizophrénies et autres troubles psychotiques. Les résultats principaux montrent que la TF/TS, conjuguée à un traitement pharmacologique et à un suivi thérapeutique individuel, permet une diminution du nombre de rechutes et augmente l’adhésion du patient au traitement pharmacologique. De plus, la TF/TS permet une amélioration des relations entre le patient et ses proches, en diminuant le stress que ces derniers perçoivent dans la gestion du trouble du patient.
Efficacité des TF/TS pour des problématiques dans lesquelles les patients sont généralement demandeurs de soins
La TF/TS s’avère efficace dans de nombreuses situations « classiques » de demande de soins, soit comme traitement unique, soit en combinaison avec d’autres traitements.
Récapitulatif des principaux résultats de recherche chez les patients demandeurs de soins
- Les troubles de l’humeur. La TF/TS est aussi efficace que les traitements individuels dans les cas de dépression. Elle permet une meilleure adhésion aux soins qu’un traitement pharmacologique. Une TF/TS menée après une tentative de suicide chez l’adolescent réduit l’état dépressif et le risque de récidive suicidaire. De plus, elle permet une meilleure adhésion à un traitement spécialisé. Concernant les troubles bipolaires, la TF/TS combinée à un traitement pharmacologique est l’approche la plus efficace.
- Les troubles anxieux. La TF/TS, combinée à un traitement pharmacologique, est l’approche la plus efficace pour le traitement des troubles obsessionnels compulsifs et de l’agoraphobie. La TF/TS est plus efficace que les thérapies individuelles pour les enfants/ adolescents souffrant d’anxiété et leur famille en difficulté.
- Les troubles psychosomatiques chez l’enfant et l’adulte. La TF/TS est efficace dans le traitement des douleurs chroniques, ainsi que pour l’énurésie, l’encoprésie, le diabète, les douleurs chroniques abdominales et l’asthme.
- Les troubles psycho-sexuels. Les troubles psycho-sexuels sont, dans la plupart des cas, accompagnés de détresse conjugale, ce qui renforce l’indication d’une prise en charge en couple. Les principaux résultats indiquent que la TF/TS est efficace pour les troubles du désir chez l’homme et chez la femme, l’anorgasmie, le vaginisme et les dyspareunies. De plus, les troubles érectiles ainsi que l’éjaculation précoce sont le plus efficacement traités dans le cadre d’une TF/TS combinée à un traitement pharmacologique.
- La détresse conjugale. La TF/TS est reconnue efficace dans la réduction de la détresse conjugale, en particulier lors de thérapies comprenant en moyenne une vingtaine de séances.
Etudes de « coût-efficacité »
L’ensemble de ces études met en évidence la rentabilité économique de la TF/TS, tant pour le patient que pour les membres de son entourage. Elle offre un bon rapport qualité-prix et est souvent moins coûteuse que d’autres types de traitements en donnant lieu, notamment, à une réduction du recours aux services de soin. (Crane, 2008)
En effet, la TF/TS permet des économies de coûts supérieures à d’autres programmes de prise en soin dans les situations de délinquance juvénile. De même, chez les jeunes consommateurs de cannabis, la thérapie de famille s’avère moins coûteuse qu’une prise en charge ambulatoire en centre de jour. Dans les cas de dépression, la TF/TS a un coût équivalent à celui d’une thérapie médicamenteuse. Chez les personnes souffrant de troubles psychotiques, la TF/TS réduit le nombre d’hospitalisations. Enfin, la TF/TS donne lieu à une réduction des coûts, dans le sens où elle contribue fortement à réduire les doubles prises en charge au sein d’une même famille (Von Sydow, Beher, Retzlaff & Schweitzer, 2007).
Conclusions
Les découvertes issues de la recherche en psychothérapie montrent de façon indiscutable que pour de nombreux troubles psychiques, les TF/TS sont hautement recommandées tant pour leur efficacité que pour la durabilité de leur effet.
Parmi les avantages majeurs : la TF/TS contribue à alléger la souffrance des membres de la famille confrontés à une problématique psychique d’un de leurs membres. Ainsi, elles permettent d’éviter que ceux-ci nécessitent à leur tour une prise en charge thérapeutique individuelle ce qui constitue une substantielle économie pour le système de santé. Les études de coût-efficacité mettent en avant la rentabilité de ce type de prise en charge.
Au vu de ces résultats, nous soutenons le développement des approches familiales tant sur le plan de la pratique qu’au niveau de l’enseignement et de la recherche. La TF/TS est une intervention de qualité souvent complémentaire à d’autres prises en charge des problématiques psychiques.
En résumé
La TF/TS est efficace.
La TF/TS est particulièrement efficace lors de troubles graves et complexes nécessitant des prises en charge importantes et dans lesquels le patient n’est généralement pas demandeur du traitement :
- Conduites antisociales et délinquance
- Troubles des conduites alimentaires
- Abus de substances
- Dépression/ Suicidalité
- Troubles psychotiques
- Troubles psychosomatiques
Dans le cas de troubles organiques et/ou psychiques sévères, la TF/TS est optimale lorsqu’elle est combinée avec d’autres approches thérapeutiques.
Bibliographie
Ouvrages et articles récapitulant les principaux résultats des recherches dans le domaine de l’efficacité de la TF/TS
- Carr, A. (2009a). The effectiveness of family therapy and systemic interventions for child-focused problems. Journal of Family Therapy, 31, 3-45.
- Carr, A. (2009b). The effectiveness of family therapy and systemic interventions for adult-focused problems. Journal of Family Therapy, 31, 46-74.
- Crane, R. (2008). The cost-effectiveness of family therapy: a summary and progress report. Journal of Family Therapy, 30, 399-410.
- Elkaïm, M. (2007). Comprendre et traiter la souffrance psychique. Paris : Seuil.
- Fonagy, P., Target, M., Cottrell, D., Phillips, J., Kurtz, Z. (2002). What Works for Whom: A Critical Review of Treatments for Children and Adolescents. New Yor k: Guilford.
- Collectif INSERM (2004). Psychothérapie : Trois approches évaluées. Paris : Les éditions INSERM.
- Nathan, P. & Gorman, J. (2007). A guide to treatments that work (3rd ed.). New York : Oxford Press.
- NFTO (National Family Therapy Organizations), core text, 2009.
- Roth, A. & Fonagy, P. (2005). What works for whom? A critical review of psychotherapy research (2nd edition). New York: Guilford.
- Sexton, T.L., Alexander, J. F., Mease, A.L. (2003). Levels of evidence for the models and mechanisms of therapeutic change in family and couple therapy. In A. E. Bergin & S. L. Garfield (Eds.), Handbook of Psychotherapy and Behavior Change. New York: John Wiley & Sons, pp.590-646.
- Shadish, W.R., & Baldwin, S.A. (2003). Meta-analysis of MFT interventions. Journal of Marital and Family Therapy, 29.
- Stratton, P. (2005). Report on the evidence of systemic family therapy. Warrington: Association for Family Therapy.
- Von Sydow, K., Beher, S., Retzlaff, R., & Schweitzer, J. (2007). Die Wirksamkeit der Systemischen Therapie / Familientherapie. Hogrefe-Verlag.
Une bibliographie plus détaillée peut être obtenue auprès des auteurs.